• Un VRAI Service Public de Formation Professionnelle peut-il être régional ?

    Article publié dans le journal National du SNUEP-FSU N°52 ( octobre 2009)

    Le plan Langevin-Wallon, pensé comme un axe majeur vers lequel toute action éducative devait tendre, servit longtemps de référence aux diverses politiques éducatives qui lui succédèrent. Ambitieux, ce plan fut d’ailleurs le premier à concrétiser l’idée du « tous capables » en proposant une démarche volontariste pour que tous les enfants puissent  accéder à un enseignement identique, quel que soit leur niveau socioculturel, leur sexe ou encore leur lieu géographique de résidence.

     Quelques décennies plus tard, la massification scolaire est bien effective, l’obligation de scolarité existe et un cursus, quasiment unique pour tous, s’exerce sur tout le territoire au moins jusqu’à 16 ans (14 ans pour certains avec l’entrée précoce en apprentissage). Pourtant, les professionnels de l’Education le regrettent, on ne peut toujours pas parler de démocratisation scolaire. En effet, les enquêtes les plus récentes révèlent toujours un rapport ténu entre l’origine économique et sociale des élèves et la réussite scolaire. Ainsi, 80 % des élèves issus de milieux défavorisés sont orientés vers l’enseignement professionnel public et à l’inverse moins de 5% d’enfants d’ouvriers sont présents dans les grandes écoles. Ces chiffres ont souvent préoccupé les hommes politiques qui nous gouvernent, parfois sincèrement et parfois de façon très démagogique.

    Depuis 4 ans, nous le constatons, la casse de l’Education Nationale, prévue depuis la stratégie de Lisbonne (2000), est en marche accélérée : suppressions massives de postes d’enseignants, fermetures d’un grand nombre de sections professionnelles, contre-réforme universitaire, Bac Pro en 3 ans .… La décentralisation, imposée sans concertation réelle, a offert aux régions la gestion des lycées (immeubles et matériels), la gestion des techniciens ouvriers de service (TOS), de la formation continue et de l’apprentissage ainsi que le contrôle du PRDF (Plan Régional De Formation) et de certaines filières comme les formations sanitaires et sociales. Aujourd’hui ces mêmes régions, favorables aux Lycées des Métiers et à la mixité des publics, toutes réclament ce qu’elles nomment : un grand Service Public Régional de Formation Professionnelle.

     Dans une période où l’Etat se débarrasse de ses fonctionnaires, la tentation serait grande de vouloir confier l’ensemble du dispositif de formation professionnelle aux régions. Elles pourraient administrer entièrement les lycées dont elles ont la charge, pas seulement l’immobilier mais aussi les personnels. C’est un fait que les lycées sont bien mieux entretenus depuis que leur gestion est régionalisée. Or, s’il est vrai que de nouveaux établissements ont été construits, que d’autres ont été rénovés, il n’en reste pas moins que les modalités de gestion de ces établissements restent hétérogènes en fonction de la richesse des régions. N’ayant pas toutes les mêmes moyens, des disparités parfois importantes impliquent que tous les élèves de l’hexagone ne bénéficient pas des mêmes avantages. En régionalisant la gestion complète des lycées, on tendrait à s’éloigner progressivement des politiques égalitaires en termes d’Education. Si l’on soutient les principes démocratiques et égalitaristes du plan Langevin Wallon on peut légitimement s’inquiéter.

    Il en est de même pour la détermination du PRDF. Chaque région est indépendante pour conduire la carte des formations qu’elle propose ensuite aux jeunes. Ce PRDF est conçu et réalisé en fonction d’une finalité d’employabilité et bien souvent l’adéquation formation/emploi est le principal critère de choix. C’est donc le marché du travail régional qui conditionne la mise en place des formations. Or, comme nous le constatons en période de crise, mais aussi durant  les périodes qui ont précédé, le marché du travail est très aléatoire : certaines entreprises délocalisent massivement et de façon souvent très inattendue, d’autres stoppent leurs activités pour des raisons obscures, ou encore, un marché « porteur » à un moment T, ne l’est plus à un moment T+1. Tous ces facteurs d’instabilité du marché impliquent que de nombreux jeunes investis dans des formations régionales, supposées à haut degré d’employabilité, se retrouvent sans emploi à la sortie de leur cursus. La région PACA en est un exemple manifeste : suite à la délocalisation de Total –avec qui elle est partenaire, les jeunes formés massivement pour ce groupe dans les filières pétrochimiques se retrouvent majoritairement sans emploi. D’autre part, la stricte recherche de l’adéquation emploi/formation n’a jamais donné les résultats escomptés ! Il est fort à parier que si les régions prennent totalement en charge, comme elles le réclament, la formation professionnelle initiale publique, elles opèreront de la même manière. Rappelons que la finalité de l’enseignement public ne peut se réduire à de l’adaptation simpliste au seul marché du travail.  

     A l’heure actuelle, le bilan concernant la régionalisation des lycées et des formations n’est donc pas si remarquable que l’on voudrait bien nous le faire croire. Cette gestion décentralisée a en réalité contribué à augmenter les inégalités en termes d’offres et de moyens de formation. Aujourd’hui, un élève de Lille, de Marseille, ou de Tours bénéficie d’enseignants ayant reçu la même formation, qu’en sera-t-il lorsque les régions recruteront leurs personnels enseignants ? Les régions riches n’engageront-elles pas les professeurs les plus expérimentés au détriment des régions pauvres qui se contenteront des débutants, voire de contractuels en alignant leur statut sur celui des formateurs de CFA (Centre de Formation des Apprentis) ? Certaines régions ne favoriseront-elles pas outrageusement l’apprentissage au détriment des formations sous statut scolaire ? Quelle place sera réservée aux grands organismes publics de formation (AFPA, GRETA, CNAM) dans cette nouvelle architecture ? Ces questions restent certes en suspends mais il semble néanmoins assuré qu’une logique budgétaire encore plus manifeste déterminera ce prétendu Service Public de Formation Professionnelle régional. Une concertation large aurait été nécessaire avant l’annonce de sa création.

    Sigrid Gerardin


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